Une école égalitaire ?

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L’instruction est obligatoire pour tout enfant résidant sur le sol français, et ce quelle que soit sa situation, dès lors qu’il est âgé entre 6 et 16 ans. Cette obligation permet donc à chaque enfant de bénéficier d’une éducation formatrice et républicaine : gratuite, égalitaire, laïque et démocratique. En un mot, l’éducation se veut au service de la nation. Pour tenter de mieux comprendre les problématiques actuelles en matière d’éducation publique, retournons d’abord aux origines de la création de l’école républicaine.

 

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Contents

L’école obligatoire, gratuite et laïque : enjeux sociopolitiques

 

Une école gratuite et obligatoire

La loi pour la gratuité de l’éducation est adoptée le 16 juin 1881 pour permettre à chaque enfant de recevoir une éducation républicaine de 6 à 13 ans. Quels enjeux ont permis l’aboutissement d’un tel projet de modernisation de l’Institution ?

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D’une part, l’enjeu politique était de créer un sentiment patriotique d’appartenance à une nation souveraine et de faire reculer les idées socialistes ou anarchiques menaçant l’autorité politique afin d’assurer la stabilité de la Troisième République (1970-1940) et d’en propager les valeurs. L’enseignement en français va contribuer à la progression d’un monolinguisme en imposant la langue officielle comme langue unique face à la diversité des patois régionaux. En effet, l’institution du français comme langue officielle en 1539 par François 1er par l’ordonnance de Villers-Cotterêt n’avait pour objectif à l’époque que de destituer le latin des institutions administratives et non de remplacer les langues régionales existantes.

D’autre part, l’enjeu social de l’école républicaine est de former de futurs citoyens, responsables de leurs obligations citoyennes et libres de leurs droits constitutionnels.

 

 

Une école laïque

Afin de destituer l’Église de ses pleins pouvoirs, Condorcet fut le premier en France à exprimer sa conception d’une éducation laïque dans son  «  rapport et projet sur l’instruction publique  » présenté à l’Assemblée Législative en 1792. Auguste Comte, fondateur du Positivisme, défendra lui aussi l’idée d’une éducation laïque afin d’ôter tout esprit religieux à l’éducation de la jeunesse française.

 

La question de la laïcité est centrale car le débat qu’elle soulève oppose

Les deux forces antagonistes de l’époque étaient le parti clérical (représenté par le corps de l’Église catholique attaché aux traditions et aux principes de la monarchie absolue de droit divin) et le parti républicain (se référant quant à lui aux notions d’esprit critique, de liberté et de volonté individuelle). La loi pour la laïcité de l’école publique est adoptée le 28 mars 1882. Cette volonté de neutralité sera ensuite étendue aux instances politiques avec la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905. Ainsi, la séparation s’opère entre l’instruction religieuse, liée à des convictions personnelles, et l’instruction morale promouvant l’idée de tolérance et du vivre ensemble au sein de la nation française. Des « devoirs envers Dieu » dispensés par l’institution catholique, l’institution publique enseigne désormais les droits et les devoirs des citoyens. Un changement de paradigme est à l’oeuvre : un glissement s’opère entre une éducation religieuse et une éducation citoyenne.

 

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Si l’éducation de masse permet d’acquérir une culture et des savoirs de base à tout un chacun, elle véhicule l’idée d’une possible promotion sociale au sein de l’école primaire puis du réseau des écoles supérieures (écoles primaires supérieures et écoles normales supérieures). Certains écrivains comme Marcel Pagnol ou Albert Camus ont prouvé l’aspect méritoire de cette nouvelle institution bien que ces exemples ne restent que très symboliques.

N’oublions pas que cette Troisième République en phase de construction avait besoin d’un grand nombre de fonctionnaires pour servir la fonction publique naissante. Pour ce faire, l’éducation de masse permettait avant tout de recruter les bons éléments de la population, faisant fi de leur statut social au profit de leur « mérite », c’est à dire de leurs aptitudes développées au sein du système éducatif public. Si l’école publique est un progrès social inestimable, il n’en reste pas moins qu’elle s’inscrit dans un processus de sélectivité des citoyens, non en fonction de leurs compétences particulières, mais en fonction des leurs aptitudes face aux critères de sélection imposés par le système éducatif, agissant ainsi comme une sorte d’ascenseur social fondé sur le mérite.

Nous assistons donc ici aussi à un changement de paradigme : l’élite instruite apte à occuper des postes sociaux-économiques plus élevés n’est plus constituée d’une élite désignée par « le prestige du sang » mais par celui du mérite. Est-ce réellement un système de sélection plus juste permettant à chacun de trouver sa place dans une société en mutation et avide de plus de libertés ? Une éducation de masse centrée sur les connaissances fait naître l’idée d’une « égalité des chances » sociale.

 

 

Le mythe de l’égalité des chances

 

Après la seconde guère mondiale, la loi Berthoin fixe l’obligation de la scolarisation jusqu’à 16 ans en 1959 puis la loi Haby permet la création d’un collège unique en 1975 permettant ainsi la gratuité des enseignements au collège après le primaire. Ces lois permettent l’allongement de la scolarité et la massification des enseignements primaires puis secondaires. L’idée est qu’une « Ecole Juste » puisse garantir à chacun la même égalité des chances et permette aux futurs citoyens de construire leur avenir en fonction de leurs aptitudes propres : aux meilleurs, les humanités, aux plus faibles, les métiers manuels et aux médiocres, une formation technique complétée par des enseignements de base.

 

« Qui ne voit que lorsque nous préconisons l’école unique, c’est pour mélanger en une même famille de frères la masse des Français de demain ? C’est pour leur donner à tous la même formation, les mêmes maîtres, la même religion sociale. C’est aussi pour que la sélection des intelligences – opération essentielle à la vie d’une démocratie – s’exerce sur l’ensemble de nos enfants, sans distinction d’origine. Nous avons besoin d’intelligences. Allons à leur découverte. Devant cet avenir si complexe, cherchons l’intelligence. Et si nous la trouvons, développons-la par tous les moyens. » Les compagnons de l’école nouvelle (1919, p. 3).

 

Aujourd’hui, qu’en est-il de l’égalité des chances à l’école ?

 

Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique), le système éducatif français est un de plus inégalitaire au monde. Cette conclusion est d’autant plus choquante que la France est un des pays les moins inégalitaires socialement. Alors pourquoi un tel contraste entre une relative égalité sociale et inégalité scolaire ?
L’inégalité scolaire se manifeste par le constat suivant : au fil de la scolarité, les inégalités se creusent. En fin de compte, un faible pourcentage d’élèves issus de milieux défavorisés acquièrent des diplômes élevés en comparaison avec les élèves issus de milieux sociaux plus favorisés. Il n’y a qu’à observer les élèves intégrant les « grandes écoles » extrêmement élitistes : il n’y a pas de mixité sociale. Selon une étude de l’OCDE, sur dix fils de cadre entrés au collège en 1995, huit étaient encore étudiants dix ans après et un seul avait arrêté ses études sans avoir obtenu le bac. Sur dix enfants d’ouvriers en revanche, trois sont dans le supérieur quand la moitié a quitté le système sans le bac.

 

 

Mais le pire est que cette inégalité scolaire croissante se manifeste dès le primaire, période où toutes les compétences fondamentales s’acquièrent. Il est démontré que les acquis en lecture ne cessent de s’effondrer : une étude menée pendant vingt ans sur des élèves de CM2 montre que les compétences en lecture des enfants d’ouvriers ont été divisées par deux entre 1997 et 2007. En revanche, ces mêmes compétences ont légèrement progressé pour les enfants de cadres. Ces mêmes disparités apparaissent dans les autres savoir de base comme les mathématiques et sont étendues plus généralement à l’ensemble des matières scolaires.

Et que dire des classes des Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) où il ne règne aucune mixité sociale et où les enfants sont confrontés à de grandes difficultés d’éducation, tant scolaires que comportementales ? Dans les 254 collèges ambition-réussite (soit les plus difficiles) des établissements classés ZEP remplis aux trois quarts par des enfants d’ouvriers ou d’inactifs, un quart n’y maîtrise pas les compétences de base en français à l’arrivée et un sur deux à la sortie, selon les données de la dernière livraison de l’état de l’école (note d’information 08.38 : L’Etat de l’école).

 

 

Il est évident que le système scolaire n’est plus adapté aux réalités sociales de notre temps et que le choix qui consiste à ouvrir des classes de soutien (stage de remise à niveau pendant les vacances scolaires au primaire, Programme Personnalisé de Réussite Educative au primaire et au collège (PPRE), etc.) ne sont que des réponses de façade. Les accompagnements éducatifs et les accompagnements personnalisés se multiplient. Mais sont-ils réellement efficaces ?
Ne serait-il pas plus pertinent de réadapter le niveau des programmes scolaires afin qu’il soit réellement adaptés aux besoins et aux capacités de plus grand nombre ? Quitte à mettre en place des activités différenciées et des parcours spécifiques pour les élèves les plus avancés ? Plutôt que de gaspiller l’argent des contribuables dans des programmes de soutien inefficaces… Si l’éducation publique s’adressait vraiment à tous ces jeunes citoyens, ne devrait-elle pas simplement chercher à s’adapter aux réalités du terrain ?

 

« Ici un lycéen a déjà 4,3 fois plus de risques d’être en échec à 15 ans s’il est issu d’un milieu social défavorisé que s’il fait partie des classes supérieures. La moyenne des pays de l’OCDE est de trois fois ». Eric Charbonnier, responsable OCDE pour la France.

 

La chercheuse en sociologie et en éducation Marie Duru-Bellat regrette que les inégalités scolaires s’accroissent clairement d’année en année et les explique par le fait qu’elles soient cumulatives. En 2015, elle publie avec François Dubet, sociologue et ex-directeur d’étude à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) un ouvrage fort intéressant : 10 propositions pour changer l’école.

 

« Le constat n’est plus à faire. Des comparaisons internationales aux drames de janvier 2015, il est évident que l’école ne tient pas ses promesses d’efficacité, de justice et d’émancipation de tous. Il est grand temps désormais de proposer des changements profonds et efficaces. Loin d’une énième réforme, détaillée ou cosmétique, touchant au coup par coup programmes, temps scolaire, langues locales ou cantines… François Dubet et Marie Duru-Bellat ont identifié les dix points cruciaux sur lesquels il est possible d’agir vite pour changer l’école. De la formation des enseignants à la définition des contenus fondamentaux – que voulons-nous transmettre, de quoi les jeunes auront-ils besoin – en passant par l’apprentissage à l’égalité, à la citoyenneté, à la laïcité, des définitions claires, des idées fortes aideront à poser un cadre d’action (…) ».

 

Une inégalité générée par le marché économique de l’emploi ?

 

Il semblerait qu’un autre problème vienne s’ajouter à l’équation. Si l’éducation de masse a pour ambition de fournir à chaque enfant des savoir de base et des compétences qu’il développera ensuite en tant qu’étudiant dans l’optique d’obtenir un diplôme qui lui permettra in fine d’intégrer le monde du travail, celle-ci est confrontée à un problème : celui de la valeur des diplômes. Cette problématique est encore plus vaste que le domaine de l’éducation à proprement parler dans la mesure où elle est directement liée aux attentes définies par le marché du travail. Lui-même défini par des enjeux socioéconomiques d’une autre ampleur. En effet, le critère de recrutement qui prévaut en France est celui du diplôme, associé au niveau d’étude. Or, si les critères d’embauche sont fondés sur la valeur du diplôme, ceux-ci sont irrémédiablement voués à s’intensifier face à l’ampleur de la demande. Ainsi, le niveau d’étude tant à s’allonger de plus en plus en France – mais seulement dans les milieux les moins défavorisés- pour pallier cette demande.

En grossissant un peu le trait, on pourrait dire que ce sont les pauvres qui paient les études des riches. Car si l’enseignement public est gratuit, c’est parce qu’il est financé par les cotisations prélevées sur les salaires. Les études s’accordent sur le point suivant : ce sont les enfants issus des milieux les plus favorisés qui ont le plus de chance de poursuivre une scolarité de plus en plus longue leur permettant ainsi de saisir les meilleurs postes, pérennisant ainsi les injustices socioéconomiques. Ainsi, le système éducatif initialement fondé pour créer au sein de la jeunesse un sentiment patriotique ancré dans des valeurs humanistes de liberté, d’égalité, de fraternité, étayé par le mythe de l’égalité des chances, est maintenant en berne.

 

 

Cet article ne présente que des pistes de réflexion face à l’ampleur du problème que représente aujourd’hui le système éducatif français. Ce ne sont plus des réformes idéologiques ou de surface que le gouvernement doit entreprendre, mais une réelle refonte du système. Si la tâche est aussi ardue et que les propositions mises en place par le gouvernement sont insuffisantes, c’est qu’un tel réajustement changerait le visage de l’éducation et changerait profondément la société en instaurant un système plus juste puisque mieux adapté aux réalités socioéconomiques de notre temps.

Il faut entreprendre de réels changements socioéconomiques pour ramener un peu de justice sociale, en tout cas pour oeuvrer en faveur d’un mieux être au sein de notre société qui connaît aujourd’hui trop de clivages et d’inégalités, notamment au sein de la jeunesse.

Remettre l’humain au coeur de ses apprentissages, en tenant compte de son rythme et de ses réels besoins serait une vraie réponse à explorer. Nous avons présenté au début de l’article la naissance de l’école républicaine et son caractère révolutionnaire dans le contexte de l’époque puis quelques mutations qui l’ont enrichi. N’est-il pas grand temps de poursuivre cette évolution dans une perspective plus humaniste?

 

Références : Revues.org / Eduscol education / Histoire ac versailles / Alternatives économiques / Le monde

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